Que signifie "Dieu est amour" ? (Prédication sur 1 Jean 4, 7-11 et Jean 15, 9-17)

Publié le par T.G

Le Retour du Fils Prodigue, Bartolomé Esteban Murillo (XVIIè s.)

Le Retour du Fils Prodigue, Bartolomé Esteban Murillo (XVIIè s.)

(Prédication donnée à partir de 1 Jean 4, 7-11 et Jean 15, 9-17)

           Chers frères et sœurs, les textes que nous avons lus ce matin comptent parmi les plus beaux et les plus chers à nos cœurs. « Dieu est amour », « aimez-vous les uns les autres ». N’y-a-t-il pas là le résumé, l’abrégé de toute la foi chrétienne ? N’y-a-t-il pas là le projet, l’aspiration de toute une vie ? Combien de fois avons-nous récité ces quelques mots à nos enfants, à des amis, ou même tout bas en nous-mêmes dans le secret de nos cœurs comme une espérance, comme un retour à la vie ? 

            Cependant, vous le savez aussi bien que moi, les choses qu’on répète encore et encore finissent parfois au lieu de se préciser et de s’éclaircir, par se brouiller voire même à être galvaudées. Et j’ai l’impression, j’espère fausse, qu’à force de dire « Dieu est amour » nous ne voyons plus très bien ce que cela signifie. Ou plutôt que nous ne savons plus comment lire le reste des Ecritures à cause de ce verset : en effet, si Dieu est amour, comment peut-il être jaloux dans l’Ancien Testament ? Comment peut-il menacer et punir son peuple ? Si Dieu est amour, comment peut-il avoir besoin de sacrifier son fils unique pour pardonner les hommes ? On pourrait aussi dire qu’avec ce verset, nous n’arrivons plus à lire l’action de Dieu dans le monde : si Dieu est amour, pourquoi la violence de la guerre, des agressions et de la pauvreté s’installe-t-elle si facilement et si durablement parmi les hommes ? 

            Bref, vous le voyez, ce verset d’apparence si simple, que nous prenons pour une évidence, nous plonge dans des difficultés immenses… Et loin de moi l’idée de pouvoir répondre ici à toutes ces questions. Autant vous le dire tout de suite : je ne pourrais y répondre. En revanche, nous pouvons peut-être, au fil de l’épître et de l’Evangile que nous avons lus, approfondir le sens de ces si belles paroles : « Dieu est amour », « aimez-vous les uns les autres ». Et par cet approfondissement, être encouragé dans notre foi, malgré tous les doutes qui subsisteront. 

 

            Commençons par deux remarques suscitées par la première épître de Jean, dont je vous conseille la lecture tant elle est belle et profonde. Premièrement, lorsque l’apôtre écrit « Dieu est amour » il ne dit pas « l’amour est dieu ». Autrement dit, l’amour est un attribut de Dieu mais Dieu n’est pas la personnalisation de l’amour. Cela est très important à comprendre à mon avis. Cela veut dire que c’est Dieu qui nous renseigne sur ce qu’est l’amour et non l’amour qui nous renseigne sur ce qu’est Dieu. C’est Dieu qui manifeste et interprète l’amour. Ce n’est donc pas à partir de notre idée de l’amour que nous pourrons comprendre Dieu mais bien à partir de l’œuvre de Dieu, telle qu’elle est révélée dans l’Ecriture, que nous pourrons comprendre l’amour. 

            Deuxièmement, l’épître montre qu’on ne peut parler du Dieu amour sans aborder également la question du péché de l’Homme. Puisque le sujet, le mot même, de péché est devenu presque tabou je me réfugie derrière le texte de l’Ecriture : « Dieu est amour. Voici comment l’amour de Dieu a été manifesté envers nous : Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde afin que nous vivions par lui. Et cet amour consiste non pas en ce que nous avons aimé Dieu, mais en ce qu’il nous a aimés et qu’il a envoyé son Fils comme victime expiatoire pour nos péchés. » (1 Jean 4, 8-10) Retenons donc pour le moment que l’amour de Dieu se manifeste en particulier dans la manière dont Dieu agit à notre égard malgré notre péché. Sans réflexion sur le péché donc, il est difficile de comprendre l’amour de Dieu. 

            Au reste, l’Evangile de ce jour sous-entend la même chose : « Voici mon commandement, dit le Seigneur : Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés » (Jean 15, 12) Comment imaginer que ce mot de commandement ne suppose pas dans la bouche de Jésus, qui était entre autres un rabbin juif du 1ersiècle de notre ère, une référence à la Loi de Dieu et donc aussi à sa transgression possible et donc au péché ? En fait, ce que j’essaie de dire, ce que je crois que l’Ecriture nous exige de dire, c’est que le Dieu d’amour est aussi le Dieu saint. En effet, en parlant du Dieu d’amour, l’Ecriture parle aussi de sacrifice (victime expiatoire), ce qui est une allusion au tabernacle et au temple et donc au Dieu saint, et de commandement, référence à la Loi de Dieu, à la volonté du Dieu saint. C’est le Dieu saint du mont Sinaï, le Dieu saint du Temple qui est le Dieu d’amour. L’un n’efface pas l’autre. 

 

            A ce stade, il me faut m’arrêter. Il me faut m’arrêter parce que pendant les lectures beaucoup d’entre vous étaient joyeux d’entendre parler d’amour et voilà que le prédicateur se met à parler du péché ! Trouvez moi deux mots plus opposés, plus antagonistes que ces deux là ! Quand on parle d’amour, y-a-t-il encore de la place pour le péché ? Et puis, si discourir sur l’amour de Dieu nous encourage au-delà de l’imaginable, parler du péché nous décourage et surtout nous culpabilise, nous enfonce, nous étouffe… 

 

            Il se pourrait cependant que parler de péché comme l’Ecriture en parle ne soit pas si enfermant que cela, que ce soit même plutôt libérateur. Mais pour entendre l’Ecriture nous parler de péché sans pour autant être démoralisé, il faut comprendre qu’il y a deux manières d’en parler. La première façon de parler du péché est malheureusement trop répandue dans l’histoire de l’Eglise : c’est le fait de parler du péché pour susciter un sentiment de culpabilité chez les fidèles, sentiment particulièrement étouffant assorti d’une crainte de l’au-delà et de l’enfer. Ce type de discours fait fond sur une culpabilité psychologique et une peur existentielle : dans ce cas, on finit par se sentir coupable sans même que nous puissions envisager une faute objective ou bien l’on est assommé par la culpabilité au moindre début de faux-pas… Inutile de vous dire ce que je pense de ce genre de discours ! D’ailleurs, ce que j’en pense importe peu, la Bible elle-même les dénonce. Une première fois dans la première épître de Jean, l’Ecriture déclare : « de quelque manière que notre cœur nous condamne : Dieu est plus grand que notre cœur et connaît tout. » (1 Jean 3, 20) Une seconde fois dans l’épître aux Hébreux, l’Ecriture affirme que Jésus est venu : « délivrer tous ceux qui, par crainte de la mort, étaient toute leur vie retenus dans l’esclavage » (Hébreux 2, 15). 

            Il faut alors pour parler du péché distinguer le sentiment de la culpabilité et la culpabilité elle-même. En effet, autant le suffoquement du sentiment de culpabilité produit par une mauvaise pastorale doit être banni de nos chaires et de nos temples, autant l’interrogation sans concession de nos rapports mutuels, à l’intérieur de nos communautés et au sein de tous les rapports humains, ne doit pas être abandonnée. Il nous faut prendre garde à ce que la critique – plus que légitime je le répète – de la culpabilisation nous conduise à délaisser toute réflexion sur le péché. Car refuser de parler du péché c’est refuser d’interroger nos responsabilités les uns envers les autres. Je vous rappelle que la première fois que l’on trouve le mot péché dans l’Ecriture ce n’est pas dans le jardin d’Eden mais dans l’histoire du fratricide d’Abel par Caïn où Dieu interroge Caïn par ces mots : « Qu’as-tu fait de ton frère ? » (Genèse 4). Bref, parler du péché de cette manière ce n’est ni nous plonger dans les affres de la culpabilisation ni s’effondrer devant l’horizon menaçant de l’au-delà – non ! – c’est, au contraire, aborder la question de notre responsabilité les uns envers les autres ici bas et maintenant ; c’est s’interroger encore et encore sur notre manière d’habiter notre monde. Et cela nulle Eglise, nul homme, nulle femme ne saurait en faire l’économie. 

 

            Revenons, après cette longue parenthèse, sur le verset qui est l’objet de notre méditation : « Dieu est amour ». Comment est-ce qu’une réflexion sur le Dieu saint et sur le péché peut-elle trouver sa place dans l’interprétation de ce verset ? D’abord ceci : c’est le Dieu saint, qui hait le mal et déteste le péché, qui nous aime, nous, pécheurs. Dieu nous aime en dépit de tout ce que nous pouvons être ou faire. Lui, le Dieu saint. Il y a dans cette affirmation toute la puissance de l’Evangile et du salut par grâce : en effet, si Dieu nous aime en dépit de notre péché, c’est-à-dire en dépit de ce que nous pouvons penser, dire ou faire envers notre prochain, cela signifie que Dieu refuse de réduire notre personne à nos œuvres ! Cela veut dire que la dignité de notre être ne dépend pas de ce que nous faisons de notre vie mais du regard de Dieu sur nous, qui est un regard d’amour. Dit autrement, Dieu nous aime c’est-à-dire qu’il nous dit que la vérité de notre être ne dépend pas de nos manquements.Par conséquent, si nous mettons notre foi dans ce Dieu d’amour, alors la porte sera toujours ouverte, alors les déterminations du passé, le poids des erreurs et des fautes ne pourront pas être le dernier mot de notre vie ! A cette pensée, il me semble que le sentiment de culpabilité est écrasé et détruit et l’espérance peut enfin envahir nos cœurs ! Dieu m’aime c’est-à-dire qu’il n’y a pas de fatalité, qu’une résurrection est toujours possible puisque lui, qui me connaît entièrement, m’aime. 

           En fait, si le Dieu saint m’aime cela veut dire qu’au lieu d’être séparé de moi à cause de mes péchés, il s’approche de moi en pardonnant totalement et définitivement mes péchés. Cela veut dire que le jugement du Dieu saint sur notre vie c’est le pardon, pas la condamnation et que sa justice c’est sa miséricorde, pas la damnation. Voilà qui nous aide à comprendre l’amour : l’amour c’est pardonner. Dieu est amour, cela veut dire Dieu pardonne.

            Mais Dieu ne se borne pas à nous pardonner, il vient aussi nous transformer petit à petit, nous ressusciter à une vie nouvelle : en effet, l’amour est plus fort que la mort, nous dit le Cantique des cantiques. Cela veut donc dire que l’amour de Dieu est tel qu’il peut, pas à pas, vaincre toutes les morts qui sont en nous, tous les désespoirs que nous portons… Dieu est amour, cela veut dire Dieu me relève et me fait revivre

 

            Eh bien chers frères et sœurs, nous savons maintenant ce que veut dire « aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés » (Jean 15, 12). Si Dieu nous aime en dépit de ce que nous pouvons faire, penser ou dire, si Dieu refuse de nous réduire à cela, qui sommes-nous pour réduire nos semblables à leurs actes, et surtout qui sommes nous pour juger les autres en fonction de qu’ils nous font ? Si Dieu nous a pardonné, ne devons-nous pas aussi pardonner ? Bref, nous aimer les uns les autres, c’est d’abord refuser de prononcer sur l’autre un autre jugement que celui de Dieu. C’est Dieu qui me dit la valeur de celui qui se tient devant moi pas mon ressenti (ni mon ressentiment d’ailleurs), pas mes a priori, pas mes préjugés. Or, Dieu aime celui ou celle qui se tient devant moi de la même force qu’il m’aime. Cela il nous faut nous en souvenir chaque jour, parce que chaque jour nous jugeons si vite, si facilement, si partiellement nos semblables… 

            

            Chers frères et sœurs, pour conclure il nous faut toujours garder à l’esprit le verset qui suit le fameux « aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés. » : le Christ poursuit en disant « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (Jean 15, 13). En effet, il ne suffit pas de ne pas juger, il ne suffit pas de pardonner, il faut encore se donner à notre prochain… Se donner signifie, donner de sa personne, de son temps, de son énergie, de ses biens... Cela coûte, cela nous coûte. Pourquoi faut-il aller jusque là ? Tout simplement parce que l’amour n’est rien sans partage. Il nous faut en effet aller jusque là, il nous faut en effet apprendre à nous donner comme le Christ s’est donné car dans le partage de nos vies se trouve une immense joie, un immense bonheur. C’est peut-être aussi cela la foi : croire que le bonheur se partage et ne se garde pas pour soi. 

 

            En définitive, chers frères et sœurs, dire « Dieu est amour » c’est en fait aspirer à ce que Dieu nous convertisse à cet amour. Dire « Dieu est amour » ce n’est pas réciter une évidence, ce n’est pas délivrer un savoir théologique… Dire « Dieu est amour », c’est prier. C’est prier pour que nos vies soient transformées par l’amour dont Dieu a fait montre en nous pardonnant et en nous relevant ; c’est prier qu’au cœur de nos injustices puisse jaillir une vie nouvelle. Dire « Dieu est amour », c’est prier et c’est espérer. C’est espérer qu’enfin nous puissions suivre cette formidable invitation gonflée d’espérance et de joie : « Aimez-vous les uns les autres ». Que cette prière nous réveille chaque matin et nous accompagne chaque jour car c’est là que se trouve notre bonheur.

 

Au nom du Christ,

Amen.

Publié dans Prédication

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Belle prédication. Pensées fraternelles de Bellou-sur-Huisne...
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